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La Bombe !

Hugues, Clovis


Texte de Clovis Hugues (≥1901).


C’était à l’heure où la nuit tombe
Un homme effrayant de pâleur
Confectionnait une bombe
Avec des soins de ciseleur.
 
Je lui criai : — quelle démence !
Il faut aimer, la haine a tort.
Que fais-tu là, dans l’ombre immense ?
Il me dit : — Je fais de la mort !
 
— Pourquoi fais-tu de la mort, frère ?
— Pour le venger d’avoir vécu.
— Comment t’appelles-tu ? — Misère.
— Quel était ton père ? — un vaincu.
 
— La forme savante et précise
De cet appareil abhorré,
Où l’as-tu prise ? — Je l’ai prise
Sur le crâne d’un fédéré.
 
— Tu ne connaissais point, naguère,
Cet engin d’où la mort descend ;
Qui te l’a révélé ? — La guerre.
— Qui te l’a conseillé ? — Le sang.
 
— La bombe est lâche autant que vaine
Et ton poing stupide et brutal…
— Je l’ai soudée avec la haine
Dans la souffrance et dans le mal.
 
— les colères sont endormies
À quoi bon tuer au hasard
De pauvres êtres ? — Et Fourmies ?
— Le riche est ton frère. — Et ma part ?
 
— Quand ta machine sera faite,
Réponds, que mettras-tu dedans ?
— J’y mettrai ma douleur muette,
J’y répandrai mes pleurs ardents.
 
— D’où viens-tu ? — D’où viens-tu, toi-même ?
— Que veux-tu ? — Mon droit et mon pain.
— Pourquoi hais-tu ? — Parce que j’aime.
— Quel est ton complice ? — La faim.
 
Et c’est ainsi, bourgeois rapace,
Que la bombe au vol redouté
Fait en éclatant dans l’espace
Resplendir ton iniquité !

Fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891, la troupe tire sur la foule, faisant 9 morts. C’est l’inauguration de nouveau « fusil Lebel » à répétition de l’armée française.


Paru aussi in : l’Almanach illustré de la chanson du peuple pour 1907. — Paris : La Publication sociale, 1906 (p. 30)

Paru dans Le Révolté : feuille de propagande anarchiste (Boitsfort, …, 1908-1914), 2e année, nº 39 (27 février 1909).