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L’Académie

Dhervyl, Fernand


Texte de Fernand Dhervyl (≤1901).


1
Là-bas, au bout du pont des Arts,
La brave assistance publique,
A recueilli quelques vieillards
Dans un vieux palais historique ;
Là, dans le silence et l’oubli,
Loin des misères de la vie,
Ils donnent en paix, sans souci :
C’est l’œuvre de l’Académie.
 
2
Ces vieillards sont d’heureux élus
À qui l’État sert une rente ;
Comme ils sont trente-neuf au plus,
On les appelle : les quarante ;
Combien de talents reconnus
Dans cette docte compagnie,
Et qui resteraient inconnus
S’ils n’étaient de l’Académie.
 
3
Ce sont tous des célébrités ;
L’un est fameux par son génie,
Un autre par sa nullité,
Chacun selon sa fantaisie…
On les a sacrés immortels
Pour tout le restant de leur vie ;
C’est l’apanage officiel
Des membres de l’Académie !
 
4
Mais, ne pénètre pas qui veut
Sous la coupole vénérée,
Car pour prendre ni ace avec eux,
Suivant la règle consacrée,
Il faut que l’on soit, avant tout,
Homme de bonne compagnie,
Et très souple des reins, surtout,
On l’exige à l’Académie
 
5
Ils vont, tout de vert habillé,
-- C’est l’uniforme de l’asile !
Les jours de gala, frétiller
Dans les grands salons, à la ville ;
Ils portent l’épée au côté
Pour affirmer à qui le nie,
Cet hémoroisme indompté
Des vieillards de l’Académie !
 
6
Quoiqu’on ait osé soutenir
Ça sert toujours à quelque chose ;
C’est le Temple du Souvenir,
Le dernier salon où l’on pose ;
Et puis, comme position
Pour quelques vaincus de la vie,
C’est une consolation
Que d’être de l’Académie !
 
7
Parfois, lorsque l’un d’entre eux part
Pour accomplir le grand voyage.
Les journaux citent, sans retard.
Le nom du défunt personnage ;
Et ce sont ces rares mentions,
Seules, qui font que nul n’oublie
Que pour l’honneur de la nation,
Il existe une Académie !

Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 8e année, nº 5 (13-20 décembre 1901).