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Les Tempéraments

Gall’, Tony


Texte de Tony Gall’ (≤1911).


1
J’possède un heureux caractère,
J’m’emball’ jamais, j’fais pas d’pétard,
D’vant l’parti pris j’aime autant m’taire
Et j’ml fous du tiers comm’ du quart ;
Pangloss voyait la vie en rose,
Moi j’la conçois différemment.
De minauder j’ai souvent la cause,
Mais c’est pas mon tempérament.
 
2
C’est bon pour les faiseurs d’épates,
M’as-tu-vu, futurs Escobars,
Génies en toc ou névropathes,
Abreuvés du poison des bars.
Prêcher la révolte archi-sainte,
Ça pose un homme évidemment,
Quant à s’priver d’un’ seule absinthe,
C’est pas dans leur tempérament.
 
3
Au rang des brut’s ou ben des poires
Faut-il inscrir’ les avachis
Qui pleur’nt et font des tas d’histoires
Sans motifs grav’s, pour des chichis ?
Bah ! ça n’a rien dans les artères,
Ça geint, mais ça pli’ constamment ;
Oser agir en libertaires,
C’est pas dans leur tempérament.
 
4
Ça vit pour gaver et pour suivre
Des fort-en-gueul’, les fier-à-bras,
Tous ceux à qui l’besoin nous livre
Et dont on fait des cochons gras ;
Du profiteur ça bais’ la botte,
Ça s’fait mouchard, insolemment,
Mais fout’ lois et dieux à la hotte
C’est pas dans leur tempérament.
 
5
Ça manqu’ d’énergie et d’audace,
Ça n’a pas d’nerfs, pas d’volonté ;
C’est mou, ça croupit dans sa crasse.
C’est l’pire enn’mi de l’indompté ;
Du vaincu que l’coup’ret décolle,
Ce vil troupeau rit méchamment,
Mais r’prend’ de forc’ tout c’qu’on nous vole,
C’est pas dans son tempérament.
 
6
Ben, moi, j’applaudis et j’admire
Le révolté calme et vaillant
Qui du Pouvoir fait son point d’mire
Et d’assailli devient assaillant.
Des grands emprunter tout’ les armes,
S’en servir intelligemment ;
Narguer leurs codes et leurs gendarmes,
Ça prouve un rud’ tempérament.
 
7
Si l’on trouvait des Fritz en France
Et des Pierr’ le peintr, par quart’rons,
On aurait tôt vidé la panse
Des coffres-forts et des patrons ;
Et lorsqu’un dûmes gaillards-là tombe
En s’affirmant étonnamment,
On peut dire en montrant leur tombe
C’était un par’ tempérament.
 
8
Géants ayant quéqu’ chos, dans l’ventre,
Noyés parmi tant d’avortons,
Ils font trembler l’or dans son antre.
Dont, craintifs, nous nous écartons ;
Ah ! grandissons-nous à leur taille,
Prenons leur audac’, notamment,
Et nous irons à la bataille
Avec leur fier tempérament.

Escobar : argot pour trompeur, hypocrite, d’après Antonio Escobar y Mendoza (1589-1669, jésuite et casuiste.


Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 17e année, nº 15 (4 février 1911).