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Veneris resurectiones

Verhaeren, Émile


Texte d’Émile Verhaeren (≤1899).


Voici : la ville est en colère et en tempête.
Depuis que tout à coup les cœurs
Se sont épris d’un code de bonheur
Merveilleux et nouveau — et grue les têtes
Luisent d’ardeur, sous l’espoir d’or de la conquête.
 
Des volontés d’éclair passent dons les cerveaux,
Des bras soudains dont les rages fécondent
Apparaissent, géants de force et de marteaux ;
On ne sait quel orage autour des peuples gronde
Et leur donne sa voix et les armes de feux.
Leur front dresse son mur contre l’orgueil des dieux ;
Ils entendent au delà de l’heure, l’appel
De ceux qui connaîtront un temps plus mutuel,
Quand les sceptres seront comme des tiges
D’où tomberont des fleurs de vice et de prestige.
 
Soit désormais la vie en lutte avec la mort,
Vénus, verse ta fièvre et ta jeunesse aux foules ;
Sois ses fureurs et commande ses houles
Et sois publique et sois divine encore !
En tous ces bras armés, en ces frustes cervelles
Le sang du vieux destin monte et se renouvelle :
L’heure est d’amour et de meurtre grandie ;
On tue, au nom de l’avenir sacré ; des voit brandies
— Rages, ferveurs, pitiés, espoirs — se fondent,
Autour du berceau rouge, où balbutie un monde.
 
Vénus, recueille en toi cette ivresse angoissée ;
Que du fond de la chair et de ton cœur,
L’amour afflue et règne enfin dans ta pensée ;
Aime l’humanité qui est l’âme meilleure
En tourmente et en vertige vers le bonheur ;
Livre et prodigue-toi à tous ceux qui t’appellent,
Non plus, parmi les dieux, ni à genoux
Devant les Christs — mais debout parmi nous
Et simplement humaine et maternelle ;
Et que tes yeux soient la clarté,
Que ta beauté soit l’harmonie,
Que ta tendresse et ton esprit soient le génie,
D’où jaillira, tel jour, l’ordre ressuscité.

Extrait de « L’Amour » in : Verhaeren, Émile. — Les Forces tumultueuses. — Paris : Mercure de France, 1902.

Paru aussi in : Le Libertaire, 2e série (1899-1899), nº 8 (8-14 octobre 1899).