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Le Vieux trimardeur

Mascara, J.


Texte de J. Mascara (≤1890).


1
Vaincu par la fièvre, accablé,
À l’hôpital je m’en allai,
Gelant, gelé !
À l’hôpital je m’en allai,
Croyant y trouver un bon pieu,
Mais, nom de Dieu !
Un grand saligaud de gardien,
En me regardant comme un chien
— Oh ! la canaille !
Brutalement me repoussa.
Il paraît que c’est comme ça :
Faut qu’on s’en aille !
 
2
Qu’avais-je demandé pourtant
Pour poser mon corps chancelant !
Gelé, gelant !
Pour poser mon corps chancelant,
Un vieux matelas dans un coin
Et pas de soin.
Demain, débarrassant les lits,
J’irai manger las pissenlits
Par la racine,
Mais, qu’on ma laisse au moins rêver
Quelques instants, et puis crever
Sans médecine !
 
3
En huit jours j’ai pas avalé
Gros de pain comme un grain de blé
Gelant, gelé !
Gros de pain comme un grain de blé.
Je suis sûr que je n’aurais pas
Sali les draps.
Ces chameaux ! — Revenez demain,
M’a-t-on dit. Comme c’est humain !
Eh ! tas de muffes !
Croyez-vous qu’un bon lit m’attend,
Ou bien que je vais en rentrant
Manger des truffes !
 
4
Pas d’asile ! Corps ambulant,
Toujours marchant,toujours roulant,
Gelé, gelant !
Toujours marchant, toujours roulant,
Ah ! zut ! voilà que j’ai glissé
Dans le fossé,
Mon vieux, c’est la fin cette fois…
Tiens ! il me semble que je vois
La fosse immonde
Et l’hôpital, là, dans le noir.
Crève cochon ! Merde et bonsoir
À tout le monde !

Paru dans L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 57 (25 janvier-1er février 1890).