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La Semeuse

Herbel, Émile


Texte d’Émile Herbel (1889).


1
Je suis, semeuse infatigable,
Vieille de presque six cents ans,
Cependant, je suis vive, aimable,
Et plus fraîche que le printemps.
Je suis la chanson populaire,
Consolatrice des humains :
Couplets, refrains qui savent plaire.
Moi, je les sème à pleines mains.
 
(refrain)
Je sème ! je sème ! Je sème !
Les fiers couplets que le peuple aime ;
Je vais, semant dans tous les cœurs
Mes doux refrains consolateurs,
Et dans les âmes obsédées
Qu’au progrès on a su fermer,
Je sème le grain des idées.
Que l’avenir fera germer,
 
2
Quand survint la Nouvelle Pâques,
J’apparus, ange des sabbats ;
Et menai pastoureaux et jacques
Drapeau rouge en tête aux combats.
À ma voix, délaissant la glèbe,
Le serf courait sus au manoir.
Quand, dans les rêves de la plèbe
Ma voix avait semé l’espoir.
 
refrain
 
3
Mais la révolte populaire,
Fut trahie et vaincue, hélas !
Il fallut bien alors se taire
Et ne plus chanter que tout bas.
C’est alors que mes pastourelles
Prirent leur volée à leur tour,
Et dans chaumières et tourelles
Semèrent des refrains d’amour.
 
refrain
 
4
Puis, lasse de chanter au monde,
Les amours, les fleurs, et les bois,
Dans les temps de Ligue et de Fronde
Je raillais ministres et rois,
On me vit, caustique et cruelle,
Changer en fouet mon tambourin
Et gifler d’un cou de mon aile
Le Valois st le Mazarin.
 
refrain
 
5
Puis survient la sublime année,
Le volcan fait éruption,
Aux yeux de l’Europe étonnée
Surgit la Révolution.
Je sors alors de la fournaise
Pour la nation en danger,
Et je crache la Marseillaise
À la face de l’étranger.
 

refrain

 
6
Parce que parfois je sommeille
Ô peuple ! tu crois à ma mort,
Mais voilà que je me réveille
Et viens, pour toi, chanter encor.
Non ! morbleu ! je ne suis pas morte
Et ne suis pas près de finir,
Elle est, et plus jeune, et plus forte.
La Semeuse de l’Avenir.
 
(refrain)
Je sème, je sème, je sème.
Les fiers couplets que le peuple aime,
Je vais, semant dans tous les cœurs
Mes doux refrains consolateurs,
Et, dans les âmes obsédées
Qu’au progrès on a su fermer.
Je sème le grain des idées
Que l’avenir fera germer.

Paru dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 44 (29 juin-6 juillet 1889).