1Dès le soir on voit la pierreuseVaguer, n’offrant à tout venant,El chacun pour la malheureuseTrouve un mot dur ou malsonnant,On en rit, eh bien ! je m’indigneQuand je vois un bourgeois crétinAyant par trop fêté la vigneInsulter la pauvre catin.Je juge plus bête qu’une oieCe passant brutal ou moqueur ;Pour moi, je la plains de tout cœur,La fille de joie.2Bourgeois, qui la trouves coupable,Vous dites qu’elle eût dû choisirQuelque métier moins méprisable ;En eut-elle donc le loisir ?Sans doute l’amère détresseSouvent lui fit souffrir la faim,Et lui fit vendre sa jeunesse,Sa beauté pour un peu de pain.Dès l’enfance elle fut la proieDe la misère et du malheur ;Elle naquit pour la douleur,La fille de joie.3Ô vous qui passez dans la vieSans connaître la pauvreté,Femmes du monde qu’on envie,Pour la fille point d’âcreté.Qui donc parmi vous se croit sûre,En ne mangeant pas tous les jours,De garder de toute souillureSon cœur, son corps et ses amours.Vous que jamais on ne rudoie,Vous dont l’existence est un jeu,Femmes riches, plaignez un peuLa fille de joie.4Eh ! cette femme est la victimeD’un monde égoïste et bourgeois ;Sa chute ! c’est encore un crimeÀ l’actif de vos tristes lois.Oui, lorsque viendra la SocialeQui fera de vos superflusÀ besoins égaux part égale,Les femmes ne se vendront plus.Oh ! qu’elle apparaisse et flamboieL’aurore immense du grand jourOù tous auront droit à l’amourEt droit à la joie.
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Filles de joie
Herbel, Émile
Texte d’Émile Herbel (1889).
Paru dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 38 (20-27 avril 1889).