« Le Général Boulanger a dansé hier soir chez Mme la marquise de B.
La fête était des plus réussies. La prolongation de l’hiver nous en promet beaucoup d’autres semblables. Espérons-le ! »
(Journaux boulangistes).
« Le nommé S., depuis longtemps sans travail se voyant réduit à la plus affreuse misère, s’est suicidé hier avec sa femme et son enfant âgé de 10 ans. »
(Faits divers)
« Hiver ! tueur de pauvres gens !
Richepin.)
1DANS LE BOUDOIR— L’hiver reprend, froide est la bise,Il a gelé blanc ce matin,Allons ! mignonnette marquiseMettez des souliers de satin.Le Général daigne paraîtreAu bal que vous donnes ce soir,Parez-vous pour bien recevoirCet élu, ce vainqueur, ce maître !Les primas sont intelligents,Les saisons deviennent parfaites :L’hiver est long, tant mieux Nous aurons plus de fêtes.LA VOIX DES MANSARDESQue maudit soit l’hiver ! tueur de pauvres gens.2DANS LA MANSARDE— Père, il fait froid comme en décembrePourquoi ne fais-tu pas de feu ?On grelotte dans notre chambre ;Vois-donc, mon visage est tout bleu.— Pauvre mignon, répond le père,Mets tes menottes dans ma main,Ça te réchauffera ; demainNous ne souffrirons plus j’espère.Mais les enfants sont exigeants :Celui-là pleure et se lamente,Et le père murmure, écoutant la tourmente :« Que maudit soit l’hiver ! tueur de pauvres gens ! »3DANS LE SALONVivat ! la valse tourbillonneSous les lustres, parmi les fleurs ;Le beau Général papillonne,En prenant des airs séducteurs.Dehors, il fait un froid atroce,Mais tant pis pour les malheureux !Le Général, élu par eux,Dit en riant :« Faisons la noce ! »Sous tous les regards convergentsIl s’exhibe comme une fille,Tandis qu’en un taudis meurt toute une famille.Victime de l’hiver ! tueur de pauvres gens !4Quelle société marâtre !Tandis qu’on voit, en nos taudis,Vide la huche et vide l’âtre,Tandis que nous souffrons, tandisQue nous mourons de faim, BoulangeÀ festoyer passe son temps.Ça dure depuis trop longtemps !C’en est trop ! il faut que ça change !Allons ! levez-vous ! indigents :Pour cela l’heure est bien choisie,Écrasez à la fois boulange et bourgeoisie !L’hiver ne sera plus tueur de pauvres gens !