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Salon et mansarde

Herbel, Émile


Texte d’Émile Herbel (≤1889).


« Le Général Boulanger a dansé hier soir chez Mme la marquise de B.
La fête était des plus réussies. La prolongation de l’hiver nous en promet beaucoup d’autres semblables. Espérons-le ! »
(Journaux boulangistes).

« Le nommé S., depuis longtemps sans travail se voyant réduit à la plus affreuse misère, s’est suicidé hier avec sa femme et son enfant âgé de 10 ans. »
(Faits divers)

« Hiver ! tueur de pauvres gens !
Richepin.)

1
 
DANS LE BOUDOIR
— L’hiver reprend, froide est la bise,
Il a gelé blanc ce matin,
Allons ! mignonnette marquise
Mettez des souliers de satin.
Le Général daigne paraître
Au bal que vous donnes ce soir,
Parez-vous pour bien recevoir
Cet élu, ce vainqueur, ce maître !
Les primas sont intelligents,
Les saisons deviennent parfaites :
L’hiver est long, tant mieux Nous aurons plus de fêtes.
 
LA VOIX DES MANSARDES
Que maudit soit l’hiver ! tueur de pauvres gens.
 
2
 
DANS LA MANSARDE
— Père, il fait froid comme en décembre
Pourquoi ne fais-tu pas de feu ?
On grelotte dans notre chambre ;
Vois-donc, mon visage est tout bleu.
— Pauvre mignon, répond le père,
Mets tes menottes dans ma main,
Ça te réchauffera ; demain
Nous ne souffrirons plus j’espère.
Mais les enfants sont exigeants :
Celui-là pleure et se lamente,
Et le père murmure, écoutant la tourmente :
« Que maudit soit l’hiver ! tueur de pauvres gens ! »
 
3
 
DANS LE SALON
Vivat ! la valse tourbillonne
Sous les lustres, parmi les fleurs ;
Le beau Général papillonne,
En prenant des airs séducteurs.
Dehors, il fait un froid atroce,
Mais tant pis pour les malheureux !
Le Général, élu par eux,
Dit en riant :« Faisons la noce ! »
Sous tous les regards convergents
Il s’exhibe comme une fille,
Tandis qu’en un taudis meurt toute une famille.
Victime de l’hiver ! tueur de pauvres gens !
 
4
Quelle société marâtre !
Tandis qu’on voit, en nos taudis,
Vide la huche et vide l’âtre,
Tandis que nous souffrons, tandis
Que nous mourons de faim, Boulange
À festoyer passe son temps.
Ça dure depuis trop longtemps !
C’en est trop ! il faut que ça change !
Allons ! levez-vous ! indigents :
Pour cela l’heure est bien choisie,
Écrasez à la fois boulange et bourgeoisie !
L’hiver ne sera plus tueur de pauvres gens !

Paru aussi in : L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 35 (23-30 mars 1889).