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Misère

Herbel, Émile


Texte d’Émile Herbel (≤1888).


1
Bourgeois ventripotents et graves !
Riches ! vous savez qui je suis.
Je suis un fantôme aux yeux caves ;
De ma haine je vous poursuis.
Mon nom ? Vous le savez sans doute.
Car souvent il vous fit trembler.
Je suis Celle que l’on redoute,
Qui doit bientôt vous accabler !
 
Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,
Pour manteau j’ai le drapeau noir.
Riches ! tremblez ! je suis Misère,
Et mon fils a nom : Désespoir.
 
2
J’eus pour mère l’âpre Souffrance,
Je suis vieille de six mille ans ;
Dès que je naquis l’Espérance
Mourut, fée aux attraits charmants,
Puissé-je bientôt disparaître !
Je le souhaite avec ardeur,
Car c’est alors qu’on verra naitre
Et la Concorde et le Bonheur.
 
Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,
Pour manteau j’ai le drapeau noir.
Riches ! tremblez ! je suis Misère,
Et mon fils a nom : Désespoir.
 
3
Ô ! riches ! riches ! prenez garde !
Car le jour bientôt va venir
Ou l’atelier et la mansarde
Pour le combat sauront s’unir.
Mon fils et moi menant la fête,
Nos coups seront puissants et prompts.
Passant comme un vent de tempête,
Bourgeois ! nous vous écraserons.
 
Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,
Pour manteau j’ai le drapeau noir.
Riches ! tremblez ! je suis Misère,
Et mon fils a nom : Désespoir.
 
4
Lorsque je descends dans la rue,
Pleine d’un courageux émoi
À la bataille, je me rue
Comme un chevalier au tournoi.
En vain, votre canon se braque,
Rien n’enrayera mon effort !
Et le Peuple au jour de l’attaque
Verra votre perte et ma mort.
 
La plèbe fera mon suaire
D’un lambeau de son drapeau noir,
Et l’on enterrera Misère
Auprès de son fils Désespoir.

Paru aussi in : L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 26 (14-21 décembre 1888).