1Bourgeois ventripotents et graves !Riches ! vous savez qui je suis.Je suis un fantôme aux yeux caves ;De ma haine je vous poursuis.Mon nom ? Vous le savez sans doute.Car souvent il vous fit trembler.Je suis Celle que l’on redoute,Qui doit bientôt vous accabler !Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,Pour manteau j’ai le drapeau noir.Riches ! tremblez ! je suis Misère,Et mon fils a nom : Désespoir.2J’eus pour mère l’âpre Souffrance,Je suis vieille de six mille ans ;Dès que je naquis l’EspéranceMourut, fée aux attraits charmants,Puissé-je bientôt disparaître !Je le souhaite avec ardeur,Car c’est alors qu’on verra naitreEt la Concorde et le Bonheur.Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,Pour manteau j’ai le drapeau noir.Riches ! tremblez ! je suis Misère,Et mon fils a nom : Désespoir.3Ô ! riches ! riches ! prenez garde !Car le jour bientôt va venirOu l’atelier et la mansardePour le combat sauront s’unir.Mon fils et moi menant la fête,Nos coups seront puissants et prompts.Passant comme un vent de tempête,Bourgeois ! nous vous écraserons.Vêtue ainsi qu’un pauvre hère,Pour manteau j’ai le drapeau noir.Riches ! tremblez ! je suis Misère,Et mon fils a nom : Désespoir.4Lorsque je descends dans la rue,Pleine d’un courageux émoiÀ la bataille, je me rueComme un chevalier au tournoi.En vain, votre canon se braque,Rien n’enrayera mon effort !Et le Peuple au jour de l’attaqueVerra votre perte et ma mort.La plèbe fera mon suaireD’un lambeau de son drapeau noir,Et l’on enterrera MisèreAuprès de son fils Désespoir.
Misère
Herbel, Émile
Texte d’Émile Herbel (≤1888).
Paru aussi in : L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 26 (14-21 décembre 1888).