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La Ballade du mendiant

Frank, J.


Texte de J. Frank (≤1898).


D’puis trente ans, je train’, jamais tranquille,
Mon pauv’ vieux squelette, harassé
D’canton en canton, d’ville en ville
Par les gendarmes pourchassé.
Y en a qu’ont des « taudis sordides »
Moi, je n’connais en fait de maison,
Qu’les murs froids et la paille humide
De la prison.
 
J’sais pas encore qui fut mon père,
P’tét’qu’ell’ mêm’ ma mèr’ l’ignora.
J’avais douze ans quand au cimetière
Un noir camion l’emporta.
On m’mit alors dans une usine
Mais un jour jouant avec d’aut’ gas
J’m’approchai trop près de la machine
Qui m’prit un bras.
 
C’est donc depuis c’temps-là que j’erre
Car plus personn’ n’a voulu de moi ;
Tout le mond’ rigol’ de ma misère
Aux p’tits goss’ on me montr’ du doigt.
Quand j’ai bien faim et qu’il fait sombre
J’demande aux passants un peu partout
Et parfois, un m’sieur gras dans l’ombre
Me jette un sou.
 
Pourtant j’sens la mort qui s’avance :
J’pourrais guèr’ longtemps résister,
Finies enfin douleurs, souffrances f !
Qu’i f’ra bon de n’plus exister !
Mais assez, i’faut que j’chemine
Sans ça les flics viendraient m’enl’ver,
J’n’vous laisse mêm’ pas, c’te vermine,
En paix crever !

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 156 (20-26 novembre 1898).