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Tribulations et devoirs d’un soldat

anonyme


Texte anonyme signé « un révolutionaire » (≤1883).


1
J ’avais alors vingt et un ans,
À la flreur de mon âge,
On me fit aller au régiment
Pour être à l’esclavage.
On commence à nous mener dur,
Étant à l’exercice.
Car tous ces hommes au cœur impur
N’ont qu’la sal’ de police.
 
(refrain)
Généraux, commandants,
Capitaines, adjudants.
Tas d’assassins des peuples,
Vous faite de l’argent
Du sang des innocents
Que vous rendez aveugles.
 
2
Après quelqu’ temps dans le métier,
Les Kroumirs se révoltent,
Ils veulent les propriétés
Que les colons leur volent,
Mais les bourgeois très mécontents
De l’acte libertaire,
Traitent ces hommes de brigands,
De voleurs sanguinaires.
 
(refrain)
 
3
Le bruit commence à retentir
Dans toutes les casernes,
« Qu’il faut appliquer aux Kroumirs,
« Un carnage superbe.
« Ils sont tous venus pour piller,
« Nos chers colons honnêtes,
« Il faut pour les civiliser
« Faire sauter leur tête. »
 
(refrain)
 
4
Des régiments on fit le choix,
Pour l’Afrique on s’embarque,
Toul mettre à sang voilà la loi
Do messieurs les monarques ;
Piller, violer les innocents,
Voilà la jouissance.
Des infâmes buveurs de sang,
Qui gouvernent la France.
 
(refrain)
 
5
Nous arrivâmes à bon port,
Dans la ville de Bône,
On dressa la niche à Médor ,
Maison qui semble un cône.
Mais les officiers muscadins,
Que l’argent accompagne.
À l’hôtel ils noyent leurs chagrins
Dans le vin de Champagne.
 
(refrain)
 
6
Quand les tentes furent dressées,
Qui fut petit affaire,
Fallut se priver de manger
Et coucher sur la terre.
Le lendemain, de grand matin,
Par les ordre du maitre,
Il fallut se mettre en chemin
Pour vingt-cinq kilomètres.
 
(refrain)
 
7
Ça dura comme ça quatre jours,
Buvant l’eau goutte à goutte,
Nous n’avions qu’un biscuit par jour,
Sans viande ni sans soupe.
Ce fut après ce long trajet,
Éreintés de misère
Que nous fîmes, près de l’étranger
Tous couverts de poussière.
 
(refrain)
 
8
On mit au rapport journalier
Cette horrible consigne
Que je ne veux pas oublier ,
Car elle est trop indigne :
« Qui tirerait pendant la nuit,
« Sans tuer un rebelle,
« Serait attaché sans fusil
« Au loin des sentinelles. »
 
(refrain)
 
9
Le devoir des soldats français
Était de tout abattre,
Piller, violer, tout massacrer
Chez ces pauvres noirâtres.
Nous les civilisions pourtant,
Leurs gourbis sont en flammes,
Encore ils ne sont pas contents
Et nous tuions leurs femmes.
 
(refrain)
 
10
Voilà ce que nous avons fait
Du temps de la campagne,
Et ce que l’on nous apprenait
Dans ces casernes-bagnes
Aussi, croyez-moi, mes amis,
Ne soyez plus fidèles,
Et pour servir votre Patrie
Montrez-vous tous rebelles.
 
(autre refrain)
Ne soyons plus soldats
Pour servir ces gens-là,
Qui font tuer nos frères ;
Mais portons tous bien haut
Le sublime drapeau
Révolutionnaire.
 
11
Savez-vous quel aurait été
Notre devoir , mes frèros,
Ce serait d’avoir fusillé
Tous ces autoritaires.
Nous aurions bien moins enduré
De misère en Afrique,
Et nous serions débarrassés
De celte immonde clique .
 
(autre refrain)
 
12
Débarrassés de tous ces gens,
Nous aurions l’avantage
D’avoir bien moins d’empêchement
Pour briser l’esclavage.
Donnons donc la mort aux voleurs
Par les armes et la torche,
Car nous aurons le vrai bonheur
Par l’emploi do la force.
 
(refrain)
Ne soyons plus soldats
Pour servir ces gens-là,
Qui font tuer nos frères ;
Mais portons tous bien haut
Le sublime drapeau
Révolutionnaire .

Kroumirs : confédération de la Kroumirie à la frontière de la Tunisie et de l’Algérie, pis terme souvent péjoratif.


Paru aussi in : La Lutte : organe anarchiste (1883-1883), supplément au nº 16 (15 juillet 1883).