Cruellement affamé et vêtu de misérables guenilles,
Par un matin glacial, un pauvre vieux travailleur,
S’en va péniblement frapper à la porte des grandes grilles
D’un splendide château d’un tout puissant seigneur ;
Voilà longtemps qu’il traîne ainsi sa triste existence,
Parmi les rues de cet exécrable régime civilisé bourgeois,
Et que son faible corps brisé par cette affreuse souffrance,
À chaque jour pour couchette quelques brins d’herbe des bois.Il s’approche timidement de la riche et somptueuse demeure
Du grand roi du pays où il a vu le jour,
Transi de froid, pâle comme un agneau qui meure
Il s’affaisse en pleurant, en regardant la heute tour.
Pitié ! Pitié ! cri-t-il au concierge qui s’avance,
Secourez-moi, Monsieur ! J’ai faim, vite, vite à mon secours,
Pour vous j’ai sacrifié : ma vieillesse, mon enfance,
Soyez généreux et bon, je vous honorerais toujours.Que clame ce gueux audacieux ? tonne sur un ton brutal
Le vautour frémissant, accouru à la plainte du martyr.
Est-ce qu’il n’ose pas crier, comme un vil chacal,
Qu’esclave 40 ans pour moi, il n’a fait que souffrir ?
Oui ! monstre sans cœur, soupire alors l’agonisant,
Pour te produire millions, j’ai travaillé à plein bras,
Jusqu’au jour où, trop vieux, de la mine me chassant,
Ton orgueil me dit : « Va, mauvais chien, au trépas ! »Alors ! sans pitance, j’ai quitté le toit qui m’a vu naître
Pour chercher du travail sous l’inclémence des cieux,
J’ai rencontré partout le même égoïsme, le même maître
Qui, plus féroce que Caïn, m’a chassé de ces lieux.
En partant, j’ai laissé une infirme vieille mère
Au foyer, sans soutien, qu’est-elle, qu’est-elle devenue ?
Peut-être que mon lamentable exil, ô douleur amère !
L’aura, dans le tombeau, cachés pour toujours à ma vue.Allons ! fiche-moi la paix, vaurien, canaille et détestable vagabond,
Sors d’ici mauvaise plante, et pour ma tranquillité : Crève !
Car tu me rappelles le jour où, violemment au fond,
Tu fulminais contre les vampires, en prêchant la grève.
Tu parlais du tyrannique Capital avec la flamme aux yeux,
En prétendant que l’infâme Bourgeoisie est une infecte pourriture,
Que son paradis opulent est fait de l’enfer des miséreux
Qu’on écorche d’impôts pour : députés, armée, clergé et magistrature.Ah ! calme-toi bourreau, dit en râlant l’ex-forçat géant,
Je meurs en jurant sur les cendres de ma mère,
Que toute ta richesse que te donne la mine, gouffre béant !
Sera, par la Révolution sociale, bientôt à l’Humanité tout entière.
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Cœur de bourgeois
Herlant-Cogez, F.
Texte de Herlant-Cogez (1903).
Texte inédit paru dans Le Réveil syndical (Lens & Hénin-Liétard), nº 7 (1903, 7 juin).