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Aux grévistes de Decazeville

anonyme


Texte anonyme (1886 ?).


Ainsi toujours le sombre au lugubre succède,
Par l’aveugle destin entraîné sans retour !
Misère, noir torrent devant lequel tout cède,
Tes victimes sans nombre augmentent chaque jour.
 
Hier, on criait guerre ; aujourd’hui, c’est famine !
Ô peuple, tu donnais et ton sang et ton or ;
Tu livrais tes enfants à l’inique vermine,
Et tu crus tout finit ; une voix dit encor !…
 
Sedan ! l’homme noir tombe entraînant avec lui
Son empire croulant. Alors ferme et stoïque
— Ainsi qu’après l’orage un riant soleil luit —
Vint, te tendant les bras, la jeune République.
 
Tu crus tenir enfin en tes puissantes mains
La vieille Liberté par nos frères conquise ;
Tu crus — ce fut un rêve — ainsi que les Romains,
À voir de toute dime obtenu la franchise.
 
À des tribuns sans foi confiant l’avenir,
Tu vois changer encor ta changeante fortune.
Peuple, c’en est assez, car il faut en finir ;
Montre donc aujourd’hui qu’un maitre t’importune.
 
Brise tous tes liens ; vis et meurs libre enfin ;
Aux tristesses d’un jour succède un jour morose.
Discute ! ses enfants chez toi crèvent de faim ;
On te donne l’épine, on te promet la rose.
 
Tunisie et Tonkin ! L’Arabe et le Chinois
Devinrent des tréteaux pour ces pitres, infâmes
Qui te prirent tes fils, au nom sacré des lois,
Servant les missions pour le slaut des âmes.
 
Mais, tu ne vois donc pas que ce sont des hochets,
Les dieux et les drapeaux, de grands riens inutiles,
Qu’un maître te le montre ainsi que des jouets,
Égarant ton esprit par des choses futiles.
 
Ô Peuple, souviens-toi des grands jours d’autrefois.
Ce ne sont plus des rois qu’il faut qu’on extermine :
Quatre-vingt-treize ! Soixante et onze ! deux fois
Tu vis ce que font fusil et guillotine.
 
Et du prêtre et du roi les règnes sont bien loin ;
Mais si l’on ne craint plus Châtelet ni Bastille,
Il est tout près de nous, chacun en est témoin,
Bien des cachots affreux ; tout un peuple y fourmille.
 
Le mine — cet enfer — antre à jamais maudit,
Où vivent sans relâche, ainsi que des esclaves,
— Démons à face humaine en l’éternelle nuit —
Nos frères, nos amis, cloués à leurs entraves.
 
Pour aux point de ciel bleu, non plus de gai soleil.
À leurs chaires rivés, ils sont — hommes et femmes,
Du matin jusqu’au soir, du coucher au réveil,
À jamais engloutis par des maitres infâmes.
 
La haine s’accumule en ces cœurs sans espoir !
Que de sourdes rumeurs en ces prisons de houille.
L’orage est plus affreux lorsqu’il tombe le soir ;
Craignez tout, ô tyrans, de ce peuple qu’on souille.
 
C’est afin de gagner de quoi ne pas mourir
Que tu te livres, Peuple, et que tu vends ta vie !
Crois-tu que ta souffrance empêche de souffrir
Tes fils dont le bonheur est ton unique envie.
 
Mais, est-il nul remède et te faut-il encor,
Prolétaire, enrichir les prêtres de la Bourse ;
Tous ces louches escrocs adorant le veau-d’or ?…
En vivant en laquais dois-tu finir ta course ?…
 
Bientôt va sonner l’heure où le calice plein
Dos amères rancunes, des haines contenues,
Débordant de partout, changera son trop plein
En flots épais de sang ; ce sont choses attendues.
 
Puis la Liberté sainte en fulgurants éclairs
Alors rayonnera dans notre République ;
Chacun vivant heureux sous des cieux bleus et clairs
Travaillera joyeux a la gloire publique.

Chanson parue aussi dans La Révolte des affamés, nº 7 (11 juillet 1886).