Nous étions fiers d’avoir vingt ansPour offrir aux glèbes augustesLa foi de nos cœurs éclatantsEt l’ardeur de nos bras robustes ;Mais voilà qu’on nous fait quitterNotre clair sillon de bontéPour nous mettre en ces enclos ternesQue l’on appelle des « casernes » :En nos mains de semeurs de bléDont on voyait hier volerLes gestes d’amour sur la plaine,En nos mains de semeurs de bléOn a mis des outils de haine…Ô fusils qu’on nous mit en mains,Fusils, qui tuerez-vous demain ?Notre front qui ne s’est baisséEncor que par devant la terreBouge, en sentant, sur lui peserLa discipline militaire ;Mais s’il bouge trop, notre front !Combien d’entre nous tomberontPar un matin de fusilladeSous les balles des camarades ?Nos yeux regardent sans courrouxLes gâs dont les tendresses neuvesS’essaiment en gais rendez-vousLà-bas, sur l’autre bord du fleuve ;Mais un jour de soleil sanglantAh ! combien de pauvres galantsAyant un cœur pareil au nôtreCoucherons-nous dans les épeautres ?…Nous trinquons dans les vieux faubourgsAvec nos frères des usines :Mais si la grève éclate un jourIl faudra qu’on les assassine !Hélas ! combien les travailleursAuront-ils à compter des leursSur les pavés rougis des villesAprès nos charges imbéciles ?…Mais, en nos âmes de vingt ans,Gronde une révolte unanime :Nous ne voulons pas plus longtempsÊtre des tâcherons du crime !Pourtant, s’il faut encore avantDe jeter nos armes au ventLâcher leur décharge terrible,Nous avons fait choix de nos cibles :En nos mains de semeurs de bléDont on voyait hier volerLes gestes d’amour sur la plaine,En nos mains de semeurs de bléPuisqu’on vous tient, fusils de haine !…Tuez ! s’il faut tuer demain,Ceux qui vous ont mis en nos mains !…
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La Chanson des fusils
Couté, Gaston
Texte de Gaston Couté (1910).
Paru dans Le Pioupiou de l’Yonne, nº 13 (octobre 1910).