À la citoyenne Eugénie Réveillon
1Je ne demande pas beaucoup :Gagner ma vie et vivre honnête,Je travaille la corde au couN’ayant ni dimanche ni fête ;Je ne mange pas à ma faim,Et l’on mange bien à mon âge !Il faut abattre tant d’ouvragePour un pauvre morceau de pain !Le pain est trop cher à la livreOn ne fait plus pour se nourrir.Je suis lasse de vivre,Et pourtant j’ai peur de mourir !2J’ai beau travailler comme deuxJe ne sors pas de la misère ;Pourtant, j’en vois qui sont heureuxEt qui vivent à ne rien faire.À quoi sert d’avoir un métier,Et de dépérir de tristesse.Si la débauche et la paresseRapportent plus que l’atelier ?Le pain est trop cher à la livreOn ne fait plus pour se nourrir.Je suis lasse de vivre,Et pourtant j’ai peur de mourir !3Je traîne, voilà bien deux ans,Une robe à neuf sous le mètre ;Je raccommode tout le tempsEt je n’ai plus rien d me mettre.Voici le terme : Ah ! c’est égal !La vie est une triste choseEt c’est peut-être bien la causeQue tant de filles tournent mal.Le pain est trop cher à la livreOn ne fait plus pour se nourrir.Je suis lasse de vivre,Et pourtant j’ai peur de mourir !4Et l’on vous dit : « Mariez-vous,À deux on est moins misérable. »Merci ! j’en ai trop vu chez nousOù nous étions des sept à table.Le père en est devenu fou,La mère en est morte à la peine ;Mes sœurs courent la prétentaine,Mes frères sont je ne sais où.Le pain est trop cher à la livreOn ne fait plus pour se nourrir.Je suis lasse de vivre,Et pourtant j’ai peur de mourir !5Et dire… qu’espérant toujours,Qu’usant sa force et sa jeunesse,De mauvais jours en mauvais joursOn en arrive à la vieillesse !Il ne faut pas avoir de cœur,Pour vivre ainsi ! Moi, la premièreC’est sitôt fait, dans la rivière,D’en finir avec le malheur !Le pain est trop cher à la livreOn ne fait plus pour se nourrir.Je suis lasse de vivre,Et pourtant j’ai peur de mourir !