On en est à ce point de honteDe dégoût profond et vainqueur,Que l’horreur ainsi qu’un flot monte,Que l’on sent déborder son cœur.Vous êtes aujourd’hui nos maîtres ;Notre vie est entre vos mains ;Mais les jours ont des lendemains,Et parmi vous sont bien des traîtres.Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,Passons, passonsPassons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.Envoyez-nous loin de la France ;Les pieds y glissent dans le sang ;Les vents y soufflent la vengeance ;Entre nous, l’abîme est trop grand.Laissez-nous partir tous ensembleDans les tempêtes de l’hiver,Sur les flots grondants de la mer,Vers quelque sol brûlant qui tremble.Là du moins, nous serons, mes frères,Sur un sol libre et généreux.Nos villes sont des cimetières ;L’ombre des palmiers vaut bien mieuxSi tout passe comme les rêves.Le progrès a l’éternité ;Et toujours ton nom, liberté,Soufflera dans le vent des grèves.Creusez-nous une vaste tombe,Exil ou mort, mais pour nous tous :Là, comme la feuille qui tombe,Les heures passeront sur nous ;Sur nous, scellez l’ombre immenseQui couvre l’éternel repos,L’oubli de ce qui fut la France,Comme la pierre du tombeau.Mais sachez bien, vainqueurs sublimes,Que si vous en frappez un seul,Il faudra, poursuivant vos crimes,Sur tous étendre le linceul ;Nous fatiguerons votre rage,Pour vous jeter, froids assassins,Toujours notre sang au visage.Nous renaîtrons tous sous vos mains.Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,Passons, passonsPassons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.
(Maison d’arrêt de Versailles, octobre 1871)