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Les Chimères

Bizeau, Eugène


Texte d’Eugène Bizeau (1911). Musique d’Auguste Fay.


1
Lorsqu’à nos yeux à peine ouverts
Mais pleins de lilas et de roses,
Le souffle glacé des hivers
N’a point encor montré l’envers
De toutes les humaines choses ;
En nos cervelles de babys.
Le rêve, à plaisir, fait éclore
Des joujoux et des beaux habits
La fantasmagorique flore
Bonbons adorés,
Vêtements dorés,
Pantins décorés
Par de tendres mères ;
Petits sans souliers, naissant par milliers
Chez les ouvriers,
Voilà nos chimères !
 
2
Quand nous sommes un peu glus grands
Et que, sur les bancs de l’école,
Studieux comme indifférents,
Nous arrivons au bout des rangs
Vers qui notre espoir caracole ;
En nos cervelles de gamins,
Le rêve de rose nuance
Les magnifiques lendemains
Du jour de notre « délivrance »
Jours ensoleillés,
Travaux essayés,
Printemps effeuillés
Sans maux sans misères,
Pauvres écoliers
Aux noirs tabliers,
Futurs ouvriers,
Voilà nos chimères !
 
3
Après lorsque nous commençons
A devenir vraiment des hommes,
Lorsque d’ineffables chansons
Au clair de lune nous berçons
Celle à qui tout entiers nous sommes ;
En nos cervelles d’amoureux
Le rêve joyeusement sème…
Pour toujours l’on se croit heureux
Croyant que pour toujours l’on s’aime,
Avoir le désir
De toujours saisir
Amour et plaisir,
Lutins éphémères
Venus, familiers,
Rire en nos greniers ;
Pauvres ouvriers
Voilà nos chimères !
 
4
Puis enfin, lorsque la raison
De neige auréole nos têtes,
Lorsque vient la triste saison
Où nous voyons à l’horizon
Surgir les points noirs des tempêtes ;
En nos cervelles de vieillards ;
Le rêve, expirant, chante encore
La fin prochaine des brouillards
Que chaque soir y fait éclore.
Mais, depuis toujours,
Les moins sombres jours.
Comme les amours
Sans larmes amères,
Pauvres ouvriers.
Mourant par milliers,
Sans pain sans souliers ;
Ce sont des chimères !

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Paru dans : Bizeau, Eugène. — Les Chansons qui passent… / mus. Auguste Fay. — Paris : La Muse rouge, 1911. — 8 p.