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Y’a rien d’changé !

Brunel, François


Texte de François Brunel (1889)


Sur le grand centenaire,
On fait de longs discours ;
On dit que l’prolétaire
Est heureux pour toujours,
On parle des droits d’ l’homme,
D’la liberté
La misèr’ nous assomme : (bis)
Y’a rien d’changé ! (bis)
 
La Bastille, démolie,
On nous donna Mazas ;
La dîme est abolie ?
Les curés sont trop gras ;
Mais la chose est complète,
Le gros clergé
Peut fair’ le proxénète :
Y’a rien d’changé !
 
Nos pèr’s avaient l’servage,
Nous le salariat ;
De l’ancien esclavage,
Tout ça c’est l’plagiat.
L’serf, par son seigneur maître,
Était grugé,
Le patron vole en traître :
Y’a rien d’changé !
 
Jadis pour la Bastille
C’fut la lettr’ de cachet ;
La Bourgeoisi’, bonn’ fille,
Lanc’ le mandat d’arrêt.
Si quelqu’un vous soupçonne,
Vous êt’s coffré
Puis, on perquisitionne :
Y’a rien d’changé !
 
La liberté d’la Presse,
Justice, Égalité ;
C’qu’on prit à la noblesse,
L’bourgeois nous l’a volé.
L’peupl’ pour avoir d’l’aisance,
S’est insurgé,
Il crève d’abstinence :
Y’a rien d’changé !
 
« Y’a plus d’distinction d’ordre ! »
Disait l’prolo d’alors ;
Mais toi, tu n’peux démordre
De tes princip’s retors.
Infâme Bourgeoisie !
L’peuple a jugé
Qu’avec ta hiérarchie :
Y’a rien d’changé !
 
Y’a plus de droit d’jambage,
Mais le droit du patron,
Jett’les fill’s de tout âge
Dans la prostitution ;
Profitant d’la misère
Qu’il a créé
Il achèt’ l’ouvrière :
Y’a rien d’changé !
 
C’est comm’ des privilèges,
On n’en vit jamais tant ;
Et, bourgeois, tu protèges
L’monopol’ dégoutant ;
Par la noblesse immonde,
On fut rongé ;
Aujourd’hui. c’est l’grand monde :
Y’a rien d’changé !
 
On avait la torture
Et l’Inquisition ;
Eh bien ! la chose dure,
Ell’ n’a changé que d’nom ;
En prison, en caserne,
J’suis égorgé ;
À Bicêtre on m’interne :
Y’a rien d’changé !
 
Ils avaient la r’devance,
Et nous avons l’impôt ;
La cour et le roi d’France,
Et nous, monsieur Carnot ;
De députés, d’ministres,
J’suis affligé ;
Quel tas d’farceurs sinistres :
Y’a rien d’changé !
 
On supprima Flesselle,
Foulon et Réveillon,
Et toute la séquelle,
Par la Révolution ;
Mais nous avons les nôtres,
Voleurs de blé !
Darblay, Rothschild, et autres :
Y’a rien d’changé !
 
Les préjugés d’tout âge
Ont créé nos malheurs ;
Pour sortir du servage,
Y’n’ faut plus d’exploiteurs.
Détruisons ce vampire,
L’Autorité !
Alors nous pourrons dire
Tout est changé !

Bastille et Mazas : prisons parisiennes. La Bastille est détruite en 1789 au début de la Révolution française. Mazas est utilisée de 1850 à 1898.

Liberté de la presse : la dernière loi française au temps de cette chanson est la loi du 29 juillet 1881.

Droit de jambage ou droit de cuissage, droit de dépucelage.

Bicêtre, commune près de Paris où était une annexe de l’hôpital général de Paris utilisé pour l’enfermement des mendiants, vagabonds, et autres marginaux.

Sadi Carnot (1837-1894), président de la République à partir de 1887 (assassiné en 1894 par Sante Caserio).

Flesselles, Foulon, Réveillon sont parmi les premières cibles de la révolution de 1789.

Darblay et Rothschild sont des grandes familles économiques.


Édition à 10 centimes avec musique, imp. Brunel, Paris, (1889).

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 77-78).