Textes bilingues de Freddy Gomez, Musique, chant, guitare et piano : Monica Gruszka Enregistré à l’abri du monde au Studio des Prairies, Paris.
Contient :
- Antonio Machado (extrait)
- « Tiempos aquellos »
- « L’Hiver 39 »
- Miguel Giménez Igualada (extrait)
- « Vientos del Sur »
- León Felipe (extrait)
- « Sueno »
- Blas de Otero (extrait)
- « Amargura »
- « Del exilio siempre »
- Luis Cernuda (extrait)
- « Café del Porvenir »
- « Soledad »
- Gabriel Celaya
- « Entonces »
- « Pablo »
- « Volver »
- Jaime Gil de Biedma (extrait)
- « Companeros »
Quelques mots…
L’exil, c’est un point de non-retour. On s’y perd dans les sables mouvants de la défaite. La jeunesse, alors, prend des airs d’épopée et l’Histoire se pare des mille couleurs de la légende. Il faut bien ça pour tenir, ce souvenir exalté d’un temps qui ne sera plus, jamais.
Ces compañeros qui peuplent ma mémoire, jusqu’à la hanter parfois, je les ai bien connus. Je les ai aimés aussi, on s’en doutera. De leur exil, ils m’ont légué la plus belle part, la dimension du rêve et l’apatride sentiment d’être d’un ailleurs définitif, d’une Terra incognita semée de barricades, d’un été qui n’en finira jamais. Cette façon d’être, je la leur dois et c’est hommage que je leur rends en racontant un peu de cette histoire.
Mes exilés avaient le verbe haut et le geste éloquent, c’est un fait. Sous le masque, cependant, sous la quichottesque attitude, ils se savaient perdants. À leurs semelles, ils avaient emporté un monde, leur monde. Il ne reviendrait plus. Il n’est pas revenu. L’Histoire ne repasse pas les plats, on le sait. L’Espagne est devenue désespérément moderne, la pointe méridionale du grand marché. Mais qui sait, qui peut dire que le vent ne tournera pas.
Leur histoire, alors, pourrait faire exemple et donner envie. Pour ce qu’elle est et sera éternellement, celle d’une génération de femmes et d’hommes qui auront su battre le fer de la révolte authentique et jeter les bases d’un autre futur, sans dieu ni maître. On ne meurt jamais quand on a su bien vivre.
Freddy Gomez
… de la musique
La photo ne trompe pas. On y voit des hommes en guenilles gardés par d’autres hommes, armés. On y voit, sur certains visages, toute la gamme humaine de l’émotion : le dépit ou la colère, l’incompréhension ou la hargne, le ressentiment ou le mépris. On y voit des poings levés et, en cherchant bien, on y décèle aussi quelques sourires, comme autant d’insultes muettes à l’inhumaine condition. Le barbelé, c’est la frontière, celle qui délimite les camps : nosotros y aquellos.
Pablo, Ramôn, José, Nando et Soledad méritaient qu’on arpégeât leurs utopies et leurs attentes. Entre demi-tons et soupirs. Sans grandiloquence ni lyrisme exagéré. Leurs mots disaient l’essentiel : des vies tenaces, des colères éclatantes, des sanglots aussi, mais rentrés, enfouis, secrets. Entre guitare et piano, c’est la nostalgie qui m’a guidée, cette nostalgie du départ sans retour possible. Et moi qui vient d’une autre contrée de l’exil, d’une autre histoire sans fin, j’ai cru la comprendre cette belle nostalgie de Pablo, Ramôn, José, Nando et Soledad. Je l’ai sentie, du moins, au fond de l’âme.
Aujourd’hui que l’Histoire recouvre les combats passés de son lourd manteau, ces textes, ces musiques se veulent véhicules d’une mémoire sans faille - la nôtre. Avec, en corollaire, cette certitude : il faut croire aux fantômes et à cette braise qui cuve sous la cendre d’oubli.
Monica Gruszka
Nota bene : Tous les textes publiés ici sont de Freddy Gomez. Ils ont été mis en notes, joués et chantés par Monica Gruszka. Pour la respiration, merci aux voix du poète : Antonio Machado, Miguel Giménez Igualada, León Felipe, Blas de Otero, Luis Cemuda, Gabriel Celaya et Jaime Gil de Biedma.