Dans les cours, en haillons, n’ayant rien dans le ventre,Je chante, tous les jours, des couplets saugrenus ;Et le soir, harassé, je retourne à mon antreDonner un peu de pain à mes enfants tout nus.Quel plaisir de chanter ! Malheureux prolétaire !Lorsque ma femme pleure auprès d’un nouveau néEt lorsqu’hier encore on coucha dans la terre,— Par un ciel gris d’hiver, — de mes cinq fils l’ainé.Eh quoi ! faudra-t-il donc sur un grabat de paille,Toujours gémir en vain sans posséder un sou ;Tandis que grassement le riche fait ripaillelit se repose, aussi gavé qu’un homme saoul.Tous les oiseaux de proie ont repaire et pâtureLe prolétaire seul, exploité sans retour,Subit, en meurt de faim, sous son humble toiture,Les coups de bec crochu du rapace vautour.Sans pudeur, un génie a chanté sur sa Ivre :— « Donnez. Celui qui donne au pauvre prête à Dieu » —,Croyant ainsi river, ô crapuleux délire !Tous les déshérités à leur fatal milieu.Eh bien non, c’est fini. L’infâme bourgeoisieVa disparaître enfin sous le rouge drapeau ;La canaille, agitant sa crinière noircieVa bientôt, sans pitié, lui charcuter la peau.Alors l’Humanité, dans la paix éternelle,Comme un fleuve riant continuera son cours ;Et l’on ne verra plus, dans l’ère paternelle,Les pauvres en haillons chanter de cours en cours.
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Dans les cours
Bouisson, J.-F.
Texte de J.-F. Bouisson (≤1890).
Paru dans L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 62 (8-15 mars 1890).