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Dans les cours

Bouisson, J.-F.


Texte de J.-F. Bouisson (≤1890).


Dans les cours, en haillons, n’ayant rien dans le ventre,
Je chante, tous les jours, des couplets saugrenus ;
Et le soir, harassé, je retourne à mon antre
Donner un peu de pain à mes enfants tout nus.
 
Quel plaisir de chanter ! Malheureux prolétaire !
Lorsque ma femme pleure auprès d’un nouveau né
Et lorsqu’hier encore on coucha dans la terre,
— Par un ciel gris d’hiver, — de mes cinq fils l’ainé.
 
Eh quoi ! faudra-t-il donc sur un grabat de paille,
Toujours gémir en vain sans posséder un sou ;
Tandis que grassement le riche fait ripaille
lit se repose, aussi gavé qu’un homme saoul.
 
Tous les oiseaux de proie ont repaire et pâture
Le prolétaire seul, exploité sans retour,
Subit, en meurt de faim, sous son humble toiture,
Les coups de bec crochu du rapace vautour.
 
Sans pudeur, un génie a chanté sur sa Ivre :
— « Donnez. Celui qui donne au pauvre prête à Dieu » —,
Croyant ainsi river, ô crapuleux délire !
Tous les déshérités à leur fatal milieu.
 
Eh bien non, c’est fini. L’infâme bourgeoisie
Va disparaître enfin sous le rouge drapeau ;
La canaille, agitant sa crinière noircie
Va bientôt, sans pitié, lui charcuter la peau.
 
Alors l’Humanité, dans la paix éternelle,
Comme un fleuve riant continuera son cours ;
Et l’on ne verra plus, dans l’ère paternelle,
Les pauvres en haillons chanter de cours en cours.

Paru dans L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 62 (8-15 mars 1890).