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Le Drapeau de la décadence

Saint-Denis, Auguste


Texte d’Auguste Saint-Denis (1889).


1
Drapeau, jadis, l’honneur de notre histoire
Qui sus guider tant de fiers bataillons
Et convertis, dans des jours de victoire,
En chevaliers des guerriers en haillons ;
Tombé plus tard aux mains d’un soldat corse,
Déshonoré dans la fange des cours,
Contre le droit, tu vins guider la force :
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
2
Quand tu guidais les preux de cent batailles,
Le monde entier admirait tes couleurs.
Tu dominais cités, monts et murailles,
Mais un César préparait nos malheurs.
De Waterloo-Mont-Saint-Jean l’hécatombe
De tes splendeurs vint arrêter le cours ;
Des libertés, tu vins parer la tombe.
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
3
Tes trois couleurs vers nous sont revenues.
Soudain Juillet te voit avec fierté
Prendre l’essor et dépasser les nues,
Flotter brillan, astre de liberté.
Mais St-Merry. Transnomain, la Croix-Rousse
Te voient planant sur le sac des faubourgs :
Le nobles sang des martyrs t’éclabousse ;
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
4
Quarante-huit l’Oublieux, il t’arbore
Malgré le sang à ton ombre versé ;
Inconscient, le peuple t’aime encore,
En souvenir d’un glorieux passé.
Mais tu reviens. pendant tes jours de haine,
À nos tyrans apporter ton secours :
Lambeau sanglant ! tu recouvres l’arène.
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
5
L’oligarchie, à ton ombre, conspire ;
À l’aigle, au coq, tu servis de champ clos ;
Au vil contact des suppôts de l’empire,
Dans tes replis, que de forfaits éclos !
Ils t’ont traîné sur la pente du crime ;
Ils t’ont perché sur leurs nids de vautours.
Et, du Zénith, tu roules dans l’abime.
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
6
À mesurer la grandeur de ta chute,
Doit-on garder des regrets superflus,
Nous rappelant notre dernière lutte,
Quand nous pleurons nos preux qui ne sont plus ?
Tu veux en vain guider de nobles races
Et dominer remparts, cités, faubourgs :
De trop de sang tes plis gardent les traces.
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
 
7
On veut, en vain, dans un nouveau baptême,
Régénérer tes anciennes couleurs ;
Mais, des martyrs, le sang crie anathème
Et nous songeons toujours à nos malheurs.
De nos bourgeois emblème d’espérance,
En attendant que justice ait son cours,
Tu peux rester l’étendard de leur France
Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !

Paru dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire de la jeunesse (1888-1890), nº 41 (18-25 mai 1889).