1Drapeau, jadis, l’honneur de notre histoireQui sus guider tant de fiers bataillonsEt convertis, dans des jours de victoire,En chevaliers des guerriers en haillons ;Tombé plus tard aux mains d’un soldat corse,Déshonoré dans la fange des cours,Contre le droit, tu vins guider la force :Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !2Quand tu guidais les preux de cent batailles,Le monde entier admirait tes couleurs.Tu dominais cités, monts et murailles,Mais un César préparait nos malheurs.De Waterloo-Mont-Saint-Jean l’hécatombeDe tes splendeurs vint arrêter le cours ;Des libertés, tu vins parer la tombe.Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !3Tes trois couleurs vers nous sont revenues.Soudain Juillet te voit avec fiertéPrendre l’essor et dépasser les nues,Flotter brillan, astre de liberté.Mais St-Merry. Transnomain, la Croix-RousseTe voient planant sur le sac des faubourgs :Le nobles sang des martyrs t’éclabousse ;Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !4Quarante-huit l’Oublieux, il t’arboreMalgré le sang à ton ombre versé ;Inconscient, le peuple t’aime encore,En souvenir d’un glorieux passé.Mais tu reviens. pendant tes jours de haine,À nos tyrans apporter ton secours :Lambeau sanglant ! tu recouvres l’arène.Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !5L’oligarchie, à ton ombre, conspire ;À l’aigle, au coq, tu servis de champ clos ;Au vil contact des suppôts de l’empire,Dans tes replis, que de forfaits éclos !Ils t’ont traîné sur la pente du crime ;Ils t’ont perché sur leurs nids de vautours.Et, du Zénith, tu roules dans l’abime.Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !6À mesurer la grandeur de ta chute,Doit-on garder des regrets superflus,Nous rappelant notre dernière lutte,Quand nous pleurons nos preux qui ne sont plus ?Tu veux en vain guider de nobles racesEt dominer remparts, cités, faubourgs :De trop de sang tes plis gardent les traces.Non, tu n’es plus le drapeau des grands jours !7On veut, en vain, dans un nouveau baptême,Régénérer tes anciennes couleurs ;Mais, des martyrs, le sang crie anathèmeEt nous songeons toujours à nos malheurs.De nos bourgeois emblème d’espérance,En attendant que justice ait son cours,Tu peux rester l’étendard de leur FranceNon, tu n’es plus le drapeau des grands jours !
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Le Drapeau de la décadence
Saint-Denis, Auguste
Texte d’Auguste Saint-Denis (1889).
Paru dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire de la jeunesse (1888-1890), nº 41 (18-25 mai 1889).