À Victor Richard, de Londres.
Les patrons se mettent en grève,L’affameur crie à l’affamé :« Il faut qu’on me cède ou qu’on crève. »L’atelier du maître est fermé.Ils réduisaient deux sous de l’heure,Deux sous de moins ! on ne peut pas !S’il faut qu’en travaillant l’on meure,Autant se couper les deux bras.Voyant l’ouvrier sans ressource,Le capital se sentait fort :Qui tient les cordons de la bourseA le droit de vie et de mort.Eh ! qu’ils les ferment, leurs fabriquesOù nous râlons tous entassésDans l’ouragan des mécaniques,Leurs bagnes des travaux forcés.Enfants décharnés, têtes grises,Pour-nous le, supplice est sans fin,Car ce n’est pas la cour d’assisesQui nous condamne…, c’est la faim !Toi qui voulais, sur ma semaine,Au gosse acheter des souliers,Tu vois, femme, comme on nous mène :Nos czars ferment leurs ateliers,Leur ukase nous prend en traître…Et l’on ne s’est pas soulevé !…Dire que huit gredins vont mettreVingt mille hommes sur le pavé !Plus d’un enfant sera victime,Avec ça que voici l’hiver.Est-ce que je ferais un crimeSi je m’armais d’un revolver ?Leur justice viendrait me prendrePour me couper le cou !… Des lois,Il n’en est pas pour nous défendreContre les assassins bourgeois.Leurs pères ont frayé la route.Quand on parle d’exproprier,Leur noblesse d’emprunt redouteUn quatre-vingt-neuf ouvrier.Pour faire bouillir leur marmite,Ils ont pillé les aristos.On craint pétrole et dynamite,Quand on a brûlé les châteaux.Mais, nous, va-nu-pieds, nous qu’on chasse,Nous pourrions, dans un branle-bas,Écrabouiller, sous notre masse,Casse-têtes et fusils Gras.Ils auraient beau crier : « Main-forte !… »Et se traîner à deux genoux,Nous pourrions enfoncer la porteEt dire : « Nous sommes chez nous ! »Les patrons se mettent en grève,L’affameur crie à l’affamé :« Il faut qu’on me cède ou qu’on crève. »L’atelier du maître est fermé.
Roubaix, 1882.