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L’Enterré vivant

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Pottier.


Au citoyen Auguste Vaillant [1].

1
L’air, plein de senteurs capiteuses,
Grisait les couples amoureux.
Je vis un homme, aux mains calleuses,
Descendre, en un trou ténébreux.
Le ciel resplendit ; juin donne
Son suc d’allégresse et d’espoir,
L’essaim fait son miel et bourdonne…
L’homme est toujours dans son trou noir !
 
2
Comme on comprend bien la paresse !
Les lézards se disent : « Dormons ! »
Cette brise est une caresse,
Un velours bleu dans les poumons.
-- L’homme portait une lanterne ; —
Mais voyez : les lapins, le loir,
Font leur sabbat dans la luzerne…
L’homme est toujours dans son trou noir ;
 
3
Un pareil jour, les forêts vertes
Devraient se remplir d’écoliers ;
On tient partout, grandes ouvertes,
Les fenêtres des ateliers.
Que fait-il, loin de la lumière ?
C’est au soleil qu’il fait beau voir
Les chantiers de la fourmilière…
L’homme est toujours dans son trou noir !
 
4
Le grillon tourne sa crécelle,
Puis tout s’apaise et s’embrunit.
Le moineau, la tête sous l’aile,
S’endort dans la chaleur du nid.
N’a-t-il pas fini sa journée ?
Voici les étoiles du soir.
La voûte est toute illuminée…
L’homme est toujours dans son trou noir !
 
5
Il sort enfin ! quels lieux funèbres
Habite donc ce noir maudit !
On croirait qu’il sort de ténèbres
Bien plus épaisses que la nuit.
Ô mineur ! c’est le cimetière
Où ton dur métier te fait choir.
Cadavre en vie ou dans la bière,
L’homme est toujours dans son trou noir !

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887 (p. 144-145).

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Comité Pottier, 1908 (p. 93-94).

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. Brochon, Pierre (éd.). — Œuvres complètes. — Paris [France] : Maspero, 1966 (p. 183).


[1Est-ce Auguste Vaillant (1861-1894), secrétaire du comité du XVIIIe arrondissement de l’Union socialiste révolutionnaire en 1885 et qui évoluera vers l’anarchisme en 1887 ?