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Ventre creux

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Potier (1874).


À Albert Goulé.

J’ai faim, disait Ventre creux
Devenu sceptique,
Je suis las des fruits véreux
De la politique.
Tiens ! je paie assez
Les vieux pots cassés.
Les partis
Sont petits.
Chacun a sa bande,
J’aime mieux la viande !
 
Peuple, me dit en tout lieu
Roi qui sollicite,
On ne fait bon pot-au-feu
Que dans ma marmite.
— Mais, grugeur d’impôt,
De ta poule au pot
Lorsque j’ai
L’os rongé,
C’est par contrebande,
J’aime mieux la viande !
 
Un gras marguillier sans fiel,
Monsieur Durosaire,
Me dit : Tu gagnes le ciel.
Bénis ta misère.
— Quoi ! pour mon salut
Ce jeûne absolu,
C’est très bien,
Très chrétien !
Que Dieu vous le rende,
J’aime mieux la viande !
 
Un meneur fort amical
Me dit : Prolétaire,
Prends un Bourgeois radical
Pour ton mandataire.
— Tout Bourgeois, mon cher,
Nourri de ma chair,
Sur mon gain,
Sur ma faim
Touche un dividende,
J’aime mieux la viande !
 
Pour qui ces torches là-bas,
Ces prêtres bizarres ?
Quel est ce dieu ? — le bœuf gras !
Sonnez les fanfares !
Animal divin,
Terrassant la faim,
Tu nourris
Nos esprits.
Que chacun m’entende !
J’aime mieux la viande !

1874.


Voir :
Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887.

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 1, suppl. litt. au nº 15 (24 déc. 1887)

Paru aussi dans Le Père Peinard, 2e série, nº 73 (13-20 mars 1898).