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Les Loups

Tachon, Paul

Texte de Paul Tachon (≤1894).

Riez, les tout petits, agitez vos mains frêles
Vers la Mère à l’œil clair qui murmure : bonjour ;
Son baiser doux et fort comme un battement d’ailes
Vous dispense à la fois la fraîcheur et l’amour.
Laisses-la vous presser contre sa gorge saine,
Son effort mesuré repousse toute gène
Du fruit pur et sacré qu’engendrèrent ses flancs :
Elle vous conduira dans la plaine fleurie
Où, belle sous le ciel, s’épanouit la vie
Et vous serez heureux lorsque vous serez grands.
 
Mais la terre n’est pas à la nature, elle est
Sous le large talon d’un maitre satisfait.
Droit devant le soleil, le méchant fait de l’ombre
Elle s’étend au loin, sa silhouette sombre.
Et les fleurs et les fruits, sur un sol détesté ;
Ignorent les douceurs de la maternité…
 
Pleurez les tout petits, dans vos regards moroses
Que frappent les brouillards épaissis du matin,
Portez le lourd regret de la splendeur des choses
Dont un ogre a privé votre part de destin.
Pleurez, car il est là. Toi pleure aussi ; la Mère :
Le voleur de soleil a semé, la misère
Où devaient s’élever des épis triomphants,
Et s’il semble parfois avoir quelque tendresse
Pour les enfants rêveurs qu’une mère caresse,
C,est qu’il doit les manger sitôt qu’ils seront grands.

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 7, suppl. litt. au nº 24 (24 févr. 1894)