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La Troisième république

Tachon, Paul


Texte de Paul Tachon (≤1893).


Voici les temps venus où nous seront vengés !
 
Les esclaves rêveurs, les pauvres outragés
Vont relever le front las de courber l’échine,
Et, devant leurs yeux durs qu’un éclair illumine,
Par le froid des stupeurs l’égoïste transi
N’aura plus qu’un seul mot dans la gorge : Merci !
 
Ô monstres effrayants, repus de chair humaine,
Voici qu’à vos festins, l’œil dilaté de haine,
L’humble, L’agenouillé, l’éternel secouru,
Le triste bafoué, — ce pauvre est apparu
Ce qu’il vient chercher, ce n’est pas sous la table,
l.’n os demi-rongé qu’une main charitable
D’un geste de dédain jette au gueux à genoux ;
Ce’ qu’il veut, ce n’est pas s’asseoir auprès de vous.
 
Il dit : Voici longtemps, très longtemps, que j’entasse
Colère sur colère et que ma voix menace
Les affameurs maudits aux ventres toujours pleins !
Car voici très longtemps, que, les regards éteints,
Trainant leurs corps maigris à travers les ruelles,
Des vagabonds pensifs, aux souffrances cruelles ;
Succombent sous les coups du froid et de la faim !
 
Et si je viens ici, c’est pour voir de leur pain,
C’est pour sentir au feu de vos lustres sans nombre,
La chaleur qui manqua. durant cet hiver sombre,
Pour réchauffer les cœurs des pâles indigents ;
C’est pour que ma voix dure, aux propos outrageants
Montant plus haut que tous vos orchestres, vos orgues.
 
Dise que vous vivez des cadavres des morgues.
Et puisque, sans remords, à vos verres remplis
Vous vous gorgez du sang de mes frères pâlis,
C’est juste qu’au banquet où votre « moi » se vautre,
J’apparaisse aujourd’hui pour en boire du vôtre !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .
Qu’elle est belle la vie, et que la terre est grande !
Le soleil du printemps en caressant la lande,
Fait s’étendre partout le vert manteau des prés ;
Hélas ! c’est l’homme seul qui plante des cyprès ;
Qu’il eût fait bon, marcher par des routes superbes,
Chanter à pleine voix dans la fraîcheur des herbes ;
Sourire aux tout petits qui tiennent par les cous
Des mères qui leur font toujours des yeux très doux,
Épanouir son être aux caresses des choses,
Et, repoussant bien loin tous les rêves moroses,
Vivre vraiment la vie en puisant chaque jour
Les rayons d’espérance en un foyer d’amour ;
Qu’il eût [ait bon, vivant de la mème fortune,
Téter au sein gonflé de la Mère commune,
Sentir battre son cœur aux bonheurs partagés
... ................................................
Voici les temps venus où nous serons vengés !

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 6, suppl. litt. au nº 34 (4 mai 1893)