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Les Ouvriers

Jouy, Jules

Texte de Jules Jouy (1887).

À mon ami Benoît-Lévy

Lorsque, robuste, à la tribune,
Monta le premier travailleur,
Le patron, crevant de fortune,
Le regarda d’un air railleur :
« Bourgeois, mes confrères, sans cause,
« Il ne faut pas nous effrayer ;
« Près de nous, c’est si peu de chose,
« Un ouvrier ! »
 
Le gros patron reprit son somme ;
Il vint un second travailleur.
Le bon bourgeois se dit : « En somme,
« Il faut voir cela sans terreur :
« Les exploiteurs, comme de juste,
« Auraient bien tort d’être effrayés ;
« Avec le premier, ça fait juste
« Deux ouvriers ! »
 
Alors il en vint un troisième,
Quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix.
Le capitaliste, tout blême,
Perdit sa morgue de jadis :
« Ma confiance diminue ;
« Nous serons bientôt balayés !
« C’est rasant, quand ça continue,
« Les ouvriers ! »
 
Ça continuera, mangeurs d’hommes !
Ogres gorgés dans vos châteaux !
Vous serez troublés dans vos sommes
Les détenteurs des capitaux !
Quittant la fabrique ou la forge,
Ils se révoltent, les pillés !
Ils vous feront tous rendre gorge
Les ouvriers !
 
Bourgeois tremblants, meute effarée,
Grévy, Buffet ou Clémenceau,
Faites des digues ! la marée
Emportera votre vaisseau !
Regardez : sur l’onde en démence,
Les vagues viennent, par milliers.
Tremblez ! C’est l’Océan immense
Des ouvriers !

18 mai 1887


Paru dans : Jouy, Jules. Les Chansons de l’année [1887] (Bourbier et Lamoureux, 1888, p. 178-180)

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 5, suppl. litt. au nº 32 (7 mai 1892)