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Notre ennemi, c’est notre maître

anonyme


Texte anonyme (≤1888) d’après deux vers de la fable « Le Vieillard et l’âne » (1668) de Jean de La Fontaine (1921-1695).


Le vieux monde au fini son bail.
L’heure a sonné sa déchéance.
Allons, compagnons du travail,
Jetons le cri de délivrance.
Mais, pour lutter avec succès,
C’est l’ennemi qu’il faut connaître.
Or, sachons-le bien désormais,
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
Depuis le grand quatre-vingt-neuf,
Un siècle a passé sur nos têtes.
Pour nous, qu’a-t-on créé de neuf ?
Que nous ont produit nos con quêtes ?
Vainqueurs, nous croyons qu’à jamais
Notre ennemi va disparaître.
Il revient sous de nouveaux traits,
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
À son maître qui lui criait :
Sauvons-nous, l’ennemi s’avance,
Maitre Aliboron répondait
Pourquoi fuirais-je sa présence ?
L’ennemi, dites-vous, jamais
Plus que vous il ne pourrait l’être.
Laissez-moi donc brouter en paix.
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
Comme cet âne raisonnant,
Courbés sous un labeur extrême,
Soit à l’atelier, soit au champ,
Partout notre sort est le même.
Le bourgeois dit : Souffrez en paix,
Vos chaînes tomberont peut-être.
Non, non, levons-nous, brisons-les.
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
Partout, dès que l’on voit s’ouvrir
La période électorale,
Vers nous s’empressent d’accourir
Les candidats, meute infernale.
Dans leurs discours écoutons-les
L’âge d’or, pour nous, va renaître.
Morbleu, saisissons nos balais.
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
Prolétaires, dorénavant,
Ne soyons plus si débonnaires.
Plus de chef, plus de parlement.
Faisons-nous mêmes nos affaires.
Des bourgeois craignons les « bienfaits ».
L’histoire nous le fait connaître,
Car nous seuls comptons désormais.
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.
 
Sans plus tarder, il faut enfin
Mettre au vent les rouges bannières
Et dans le camp des meurt-de-faim
Déchaîner toutes les colères.
Trop longs ont été les délais,
Le vieux monde va disparaître.
À nous châteaux, hôtels, palais.
 
Je vous le dis en bon français :
Notre ennemi, c’est notre maître.

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 1, suppl. litt. au nº 20 (4 févr. 1888)