Le vieux monde au fini son bail.L’heure a sonné sa déchéance.Allons, compagnons du travail,Jetons le cri de délivrance.Mais, pour lutter avec succès,C’est l’ennemi qu’il faut connaître.Or, sachons-le bien désormais,Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.Depuis le grand quatre-vingt-neuf,Un siècle a passé sur nos têtes.Pour nous, qu’a-t-on créé de neuf ?Que nous ont produit nos con quêtes ?Vainqueurs, nous croyons qu’à jamaisNotre ennemi va disparaître.Il revient sous de nouveaux traits,Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.À son maître qui lui criait :Sauvons-nous, l’ennemi s’avance,Maitre Aliboron répondaitPourquoi fuirais-je sa présence ?L’ennemi, dites-vous, jamaisPlus que vous il ne pourrait l’être.Laissez-moi donc brouter en paix.Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.Comme cet âne raisonnant,Courbés sous un labeur extrême,Soit à l’atelier, soit au champ,Partout notre sort est le même.Le bourgeois dit : Souffrez en paix,Vos chaînes tomberont peut-être.Non, non, levons-nous, brisons-les.Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.Partout, dès que l’on voit s’ouvrirLa période électorale,Vers nous s’empressent d’accourirLes candidats, meute infernale.Dans leurs discours écoutons-lesL’âge d’or, pour nous, va renaître.Morbleu, saisissons nos balais.Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.Prolétaires, dorénavant,Ne soyons plus si débonnaires.Plus de chef, plus de parlement.Faisons-nous mêmes nos affaires.Des bourgeois craignons les « bienfaits ».L’histoire nous le fait connaître,Car nous seuls comptons désormais.Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.Sans plus tarder, il faut enfinMettre au vent les rouges bannièresEt dans le camp des meurt-de-faimDéchaîner toutes les colères.Trop longs ont été les délais,Le vieux monde va disparaître.À nous châteaux, hôtels, palais.Je vous le dis en bon français :Notre ennemi, c’est notre maître.
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Notre ennemi, c’est notre maître
anonyme
Texte anonyme (≤1888) d’après deux vers de la fable « Le Vieillard et l’âne » (1668) de Jean de La Fontaine (1921-1695).
Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 1, suppl. litt. au nº 20 (4 févr. 1888)