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Le Chant du pain (Le Pain)

Dupont, Pierre


Texte de Pierre Dupont (1847). Musique par Joseph Darcier (1819-1883).


Quand dans l’air et sur la rivière
Des moulins se tait le tic tac ;
Lorsque l’âne de la meunière
Broute et ne porte plus de sac,
La famine, comme une louve,
Entre en plein jour dans la maison
Dans les airs un orage couve.
Un grand cri mante à l’horizon :
 
Refrain
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature ; / Il faut du pain, il faut du pain. (bis)
 
La faim arrive du village,
Dans la ville, par les faubourgs ;
Allez donc barrer le passage
Avec le bruit de vos tambours.
Malgré la poudre et la mitraille,
Elle traverse à vol d’oiseau,
Et sur la plus haute muraille
Elle plante son noir drapeau.
 
Que feront vos troupes réglées ?
La faim donne à ses bataillons
Des armes en pleins champs volées
Aux prés, aux fermes, aux sillons :
Fourches, pelles, faux et faucilles ;
Dans la ville, au glas du tocsin,
On voit jusqu’à de jeunes filles
Sous le fusil broyer leur sein.
 
Arrêtez, dans la populace,
Ceux qui portent fusils et faux ;
Faites dresser, en pleine place,
La charpente des échafauds.
Aux yeux des foules consternées,
Après que le couteau glissant
Aura tranché leurs destinées,
Un cri s’élèvera du sang !
 
La terre n’est pas labourée ;
Et le blé devrait, abondant,
Jaunir la zone tempérée,
Et, du pôle au tropique ardent,
Déchirons le sein de la terre,
Et, pour ce combat tout d’amour,
Changeons les armes de la guerre
En des instruments de labour.
 
Que nous font les querelles vaines
Des cabinets européens ?
Faudrait-il encor, pour ces haines,
Armer nos bras cyclopéens ?
Du peuple, océan qui se rue,
Craignez le flux et le reflux ;
Donnez la terre à la charrue,
Et le pain ne manquera plus.
 
refrain
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature ; / Il faut du pain, il faut du pain. (bis)

Paru aussi dans : Biolley, Georges (éd.) . — Les Chants du peuple. — Genève : Imprimerie jurassienne, 1888. — Fascicule nº 1 (p. 9). [1]

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 2, suppl. litt. au nº 45 (17 juil. 1889)

Paru aussi dans L’Étincelle : chants, pensées et poésies révolutionnaires (1892), p. 8-9.

Paru aussi dans : Les Chants du peuple. — Paris : [P. Delesalle] aux bureaux des Temps nouveaux [puis] La Publication sociale. — Fascicule nº 9 [1901, sept.]. [2]

Paru aussi dans : Chansonnier de la révolution. — Genève : Le Réveil socialiste-anarchiste, 1902 (p. 33).

Paru aussi dans : Les Chants du peuple. Série nouvelle ; nº 1. — Paris : Temps nouveaux, [ca 1902]. — N.p.

Publié aussi dans le recueil nº 17 (ca 1928) de Nos chansons (1920-1930) de La Muse rouge.

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 24).


[1Le texte de cette chanson est accompagné d’une note :

En 1845 et plus encore en 1846, mauvaises récoltes, accaparements de grains. Les paysans affamés s’attroupent, demandent du pain. Buzançais (Indre), deux propriétaires agioteurs les reçoivent à coups de fusil [cf. Dominique Lejeune. L’émeute de Buzançais (Indre, janvier 1847). : Commentaire de texte. DEUG. Hypokhâgne du lycée Louis le Grand, France. 1995, pp.11. cel-01493556.]. La foule justicière les pend. Mais le prolétariat n’est pas préparé : ses oppresseurs reprennent vite le dessus. La jugeaille envoie une masse d’hommes au bagne, et, au hasard, eu condamne cinq à mort. Le bon roi Louis-Philippe n’hésite pas à signer un arrêt de mort. C’est à cela que le Chant du Pain fait allusion.

[2La brochure donne aussi sa note sur l’émeute de Buzançais de janvier 1847 qui serait à l’origine de la chanson :

Nous avons pensé rééditer cette chanson de Pierre Dupont qui, quoique vieille de plus d’un demi-siècle, est encore, hélas, d’actualité, puisque des ministres socialistes (!) donnent l’ordre de tirer sur des travailleurs.
[puis suit la réédition de la note parue dans l’édition de Genève de 1888.]