À Adolphe Douai, à New-York.
Les flancs tout en lambeaux, la mèreEst en travail sur son lit de misère,Notre siècle est un dénouement.L’humanité, notre âme-mère,Est en travail sur son lit de misère.Peuples, voici l’enfantement !Elle attendait sa délivranceDepuis bien des jours ! Mais : voici !…Son coeur qui s’appelle la France,Devine un mâle et dit : merci !« Qu’importent mes douleurs profondes,»Voici mon temps, voici mon lieu ! »Et dans l’infini noir, les mondesLa veillent d’un regard de feu.Chair qu’on dégrade et qu’on immoleDans un passé presqu’inconnu,Ce fut d’abord la vierge folleSe livrant au premier venu.Assez d’orgie et de batailles,Assez d’esclavage muet,Elle a senti dans ses entraillesQuelque chose qui remuait.Il lui fallut percer les ombres,Traverser les bûchers ardents,Des dieux balayer les décombres,Gravir la route épée aux dents.Triompher des rois et des castesEt, dans ce combat éternel,Pendant mille siècles néfastes,Traîner son fardeau maternel.Près d’elle un groupe de tout âge,Le plus jeune a le fer en main.« Employons le forceps, courage,»Que tout s’achève avant demain ! »Ah ! jeune homme, en cette heure amère,La science te le défend,Tu risques de blesser la mère,Tu risques de tuer l’enfant.Des pièces de cent sous vivantesSe parlent bas : « S’il vient à bien,»Agio, banque, achats et ventes,»Tout est fini : l’Or n’est plus rien.»Si ce n’est qu’une fausse couche,»On verra la Bourse monter,»Grimpons à pieds joints sur sa couche,»Tâchons de la faire avorter ! »Place aux derniers, aux misérables,Aux va-nu-pieds, aux rejetés,Peuplant par foules innombrablesLes campagnes et les cités.« Il n’est plus d’ennemi qui bouge,»Mère, mère, l’heure a sonné,»Couvre de notre drapeau rouge»Le berceau de ton nouveau-né ! »
Paris, juin 1848.