À Séverine, qui a eu la première idée de cette pièce.
Ton histoire, Bourgeoisie,Est écrite sur ce mur.Ce n’est pas un texte obscur…Ta féroce hypocrisieEst écrite sur ce mur !Le voici, ce mur de Charonne,Ce charnier des vaincus de Mai ;Tous les ans, Paris désarméY vient déposer sa couronne.Là, les travailleurs dépouillésPeuvent énumérer tes crimes,Devant le trou des anonymes,Devant le champ des fusillés !Par Thiers et sa hideuse cliqueCe vieux mur fut tigré de sang.Le massacre, en l’éclaboussant,En fit une page historique.Tu ranges devant ce coin noirOù rejaillirent les cervelles,Un rideau de tombes nouvelles ;Crois-tu masquer ton abattoir ?Drapés dans leur linceul de marbre,Tes sépulcres, fleuris d’orgueil,Insultent nos haillons de deuil,Sur ce sol sans herbe et sans arbre !Formant un contraste moqueurBlanches, de perles scintillées,Tes tombes sont là, maquillées :La mort y fait la bouche en cœur !Eh quoi ! n’es-tu pas assouvie,Toi qui lampas leur sang vermeil !Aux morts tu voles le soleilTout comme s’ils étaient en vie !Toi qui bâtis sur nos douleursTes palais et ta grandeur fausse,Vas-tu jalouser à leur fosse,Un peu de lumière et de fleurs ?Parmi la classe travailleuseCombien, femme, enfants, vieillards,Livrés à tes patrons pillards,Qui regrettent la mitrailleuse ?Lequel vaut mieux : courber le dosDans l’esclavage où l’on s’agiteSans dignité, sans pain, sans gîte,Ou reposer ici ses os ?…Mais l’indignation s’élève,Le peuple n’est plus aveugléIl sait qu’au pied du mur voiléTu voudrais enterrer la grèveUn frisson nous court sous la peau,La foule qui sent sa détresseBientôt, Commune vengeresse,Prendra ton linceul pour drapeau !Ton histoire, Bourgeoisie,Est écrite sur ce mur.Ce n’est pas un texte obscur….Ta féroce hypocrisieEst écrite sur ce mur !
Paris, mai 1886.