À la citoyenne Caroline P.
Cheveux gris, voulez-vous vous taire !Oh ! mes quarante ans, taisez-vous !Ce soleil d’or, baignant la terre,Fait de la jeunesse pour tous.Est-ce l’oiseau, qui met des ailesÀ mes reins hier si pesants.Salut ! mes sœurs les hirondelles,Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !Des soucis, faisons table raseCherchons les horizons subits.Quoi ! je puis au vin de l’extaseTremper mon morceau de pain bis ?Quoi ! je puis, à ma fantaisieDénicher les refrains naissantsEt gaminer la poésie…Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !C’est donc vrai, que la cendre couveSi longtemps le feu du matin ?Oh ! quel bonheur ! je me retrouve,Moi, qui disais : je suis éteint !Éclate flamme et te déploieSiècles, voyez ! voyez, passants !J’ai rallumé mon feu de joie,Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !Dans ce ravin se creuse un porche,Là, ma muse balbutia.En y descendant, je m’écorcheAux ongles de l’acacia,Mon corps roule et mon esprit flotteDans les éthers éblouissants…Bon ! j’ai déchiré ma culotte.Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !Philosophe à l’âme indiscrète,Soleil, vais-je t’interrogerComme on fait d’une pâquerette,Pétale à pétale, et songer ?Non ! mais comme un collier j’égrèneTous mes souvenirs séduisants :Chérubin rêve à sa marraine.Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !Ah ! dans les herbes les plus frêles,Je sens la vie et le baiser ;Je vois les fleurs s’aimer entr’elles ;Je vois les rayons s’épouser.Velours des prés, soyez ma couche ;Et, pour m’ouvrir l’âme et les sens,Nature, un baiser sur ta bouche !Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !
Fosse Bazin, 1856.