À Adolphe Douai, de Newark.
Ô Terre, voici l’âge d’or !Sous la bannière cramoisieDéroule ton beau Messidor !Salut l’Amour ! Salut la Poésie !Voici venir l’âge vermeil,Mets, Peau d’Âne transfigurée,Ta robe couleur du soleil :La Justice a fait son entrée.Par l’esclavage abrutissantEt par la misère écrasée,Tu couchais dans un lit de sang.Éveille-toi dans la rosée !Tu fus l’enfer, le gouffre noirDes intérêts et des batailles,Le cri navrant du désespoir.Sortait du fond de tes entrailles.Maintenant, les poumons gonflés,Orgue puissant lorsque tu vibres,Tu remplis les cieux constellés :Du chant des égaux et des libres.Que de sève en tes flancs sacrés !Un suc de renouveau s’y mêle.Pour tes enfants longtemps sevrésReprends le rôle de mamelle.Écrasant l’usure et le volQui grouillaient dans tes fanges noires,La science a fait de ton solL’Atelier de toutes les gloires.Ô nations, plus de torpeur,Mille réseaux vous ont nouées.L’électricité, la vapeurSont vos servantes dévouées.L’homme a conquis les hauts sommets,Les sables ardents, les banquises,La mer et le ciel, désormais,Sont des forces qu’il a conquises.Races, venez de toutes parts,Creusez l’être par la science.Individus, cerveaux épars,Vous n’êtes qu’une conscience.Tous les fléaux vont s’apaiser,La nature n’est plus faroucheEt la vie est un long baiserQue l’homme lui prend sur la bouche.Ô Terre, voici l’âge d’or !Sous la bannière cramoisieDéroule ton beau Messidor !Salut l’Amour ! Salut la Poésie !
À bord du transatlantique L’Amérique,
retour d’exil, septembre 1880.